Cet article a initialement été publié sur Carenews, édition par Mélissa Perraudeau
Pour le spécialiste de la philanthropie Antoine Vaccaro, président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie (CerPhi) et de l’agence de fundraising Force for Good, le rapport « La philanthropie à la française » des députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou est ambitieux et très favorable au secteur de l’intérêt général.
En plus de probables difficultés à faire voter les propositions les plus stratégiques, il signale toutefois l’absence d’une piste importante pour encourager les générosités des Français·es.
Il livre son analyse à Carenews.
Attendu depuis plusieurs mois, c’est finalement ce 9 juin que le rapport La philanthropie à la française a été remis par les députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou à Gabriel Attal, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Le Premier ministre les avait chargées, en juillet dernier, d’une mission parlementaire relative à l’évolution du cadre de la philanthropie en France. Après avoir mené « une centaine d’auditions et de contributions » auprès de représentants du secteur, Sarah El Haïry et Naïma Moutchou ont livré dans ce rapport dense 35 propositions « ayant vocation à développer les petites et grandes générosités en France ».
Comme tous les acteurs du secteur, j’attendais avec impatience la publication de ce rapport et ses propositions pour soutenir et développer la philanthropie en France. La trentaine de pistes proposées par les députées est structurée en trois axes : la simplification du cadre juridique et législatif des fonds et fondations, les nouvelles sources de financement pour la générosité et le développement et le soutien à un modèle philanthropique « à la française ». Après avoir lu attentivement ce rapport, j’ai souhaité revenir sur ses pistes les plus saillantes pour en saluer la dimension globalement stratégique, mais aussi en pointer les limites.
UN BLOC DE PROPOSITIONS CLÉ
Étant spécialisé dans la levée de fonds, c’est le volet financement de ce rapport que j’attendais le plus, comme probablement de nombreuses associations. Force est de constater que le bloc proposant, entre autres, l’assouplissement des règles relatives à la réserve héréditaire ainsi que des dons sur succession est globalement ambitieux et traduit un travail sérieux de reprise des demandes du secteur. Les députées proposent d’augmenter la part du patrimoine qu’une personne peut choisir de léguer à sa mort : si « le patrimoine transmis l’est dans l’intérêt général », cette « quotité disponible » ne pourrait être inférieure au tiers de l’héritage, même avec trois enfants. Le rapport préconise également l’allongement du délai des dons faits aux associations ou aux fondations d’utilité publique après le décès et réduisant les droits de succession. Actuellement de six mois, il pourrait passer à un an.
Cependant, en plus des sujets liés à l’héritage, ce bloc de propositions du rapport comporte le don de RTT « pour ceux qui n’ont pas la possibilité de s’engager ou les ressources pour faire un don financier », plus anecdotique au milieu des autres pistes. Et si l’ouverture du mécénat de compétences aux fonctionnaires est un ajout appréciable, aucune des propositions du rapport concernant les entreprises ne compense le recul de la loi de finances 2020 — qui a baissé le taux de réduction de l’impôt sur les sociétés de 60 % à 40 % pour les dons excédant le seuil de 2 millions d’euros.
La proposition financière la plus stratégique est donc, sans aucun doute, la modification de la réserve héréditaire, qui encouragerait véritablement la philanthropie en France. Cette demande clé du secteur s’annonce toutefois compliqué à faire accepter, que ce soit auprès de l’opinion publique ou de l’Assemblée nationale et du Sénat.
UNE PHILANTHROPIE FACILITÉE, ET ENCOURAGÉE CHEZ LES PLUS JEUNES
Le rapport comporte un axe « Éducation et valorisation à la philanthropie », qui propose notamment sa promotion au sein des établissements scolaires et lors du Service national universel, ainsi que « la valorisation de l’engagement étudiant ».
Des façons intelligentes de commencer par les plus jeunes pour instaurer en France une culture philanthropique à l’anglo-saxonne, mais dont la mise en œuvre nécessitera des moyens de la part des services publics.
« Il faut se préoccuper du petit comme du grand pour que cette culture du don traverse toute notre société »
Sarah El Haïry, en amont de
« La philanthropie à la française »
Pour simplifier et valoriser cette philanthropie, les députées ont prévu un troisième et dernier axe « d’accompagnement et d’évaluation ». Il propose la création « d’un organisme multi-acteurs et interministériel, en charge principalement de la définition de l’intérêt général et de la Reconnaissance d’Utilité Publique (RUP) », un « fichier national type Infogreffe de l’ensemble des Organismes Sans But Lucratif » et l’éventuel développement de fondations territoriales. L’idée de composer un fichier global me semble plutôt astucieuse puisqu’il permettrait de disposer de statistiques précises facilitant la communication du secteur, et le principe des fondations territoriales est un levier de philanthropie locale pertinent. La couche au-dessus, l’ajout d’un cadre de surveillance, semble elle relever du réflexe habituel du législateur français de créer un comité ou une commission pour répondre à une problématique, d’autant plus que nous disposons déjà d’un Haut Conseil à la Vie associative.
UNE PROPOSITION MANQUANTE
Pour autant, le rapport des députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou marque une vraie volonté de faire progresser cette « philanthropie à la française » que nous appelons tous de nos vœux. Si je suis sceptique sur le caractère stratégique de certaines propositions, d’autres, comme celles concernant les legs et la réserve héréditaire, sont essentielles. Mon grand regret, toutefois, est l’absence de volet concernant l’innovation dans les ressources philanthropiques. J’aurais aimé trouver une proposition de valorisation des loteries solidaires, qui pourraient apporter une énorme contribution au secteur, notamment les petites associations. Son absence traduit probablement les réserves de certains acteurs du secteur à adosser des financements sur un jeu de hasard. Le sujet pourra peut-être être mis sur la table une fois les épineuses questions de libéralités et de droits de succession votées ?
Antoine Vaccaro
Cet article a été publié initialement sur Carenews édition par Mélissa Perraudeau
https://www.carenews.com/fr/news/rapport-la-philanthropie-a-la-francaise-une-mission-en-bonne-voie