Par Antoine Vaccaro.
Pourquoi intituler cette tribune la longue marche ? Rien d’aussi épique que celle de 49, mais il semble utile de rappeler comment les professionnels du fundraising en France, au sein des Organisations Sans But Lucratif, dans les agences et chez les prestataires, se sont frayés un chemin dans un paysage associatif qui ne fût pas d’emblée accueillant.
En vrac, les Fundraisers : femmes et hommes de marketing dit social, étaient considérés comme : « le ver du marché dans le fruit du social » !
Les militants associatifs craignaient, par cette professionnalisation - ils parlaient même de «mercantilisation» des causes- d’y perdre leur âme. Grand Dieu !
Après les tâtonnements, les expérimentations et les premiers grands succès, sont venues les questions éthiques - respect des bénéficiaires et des donateurs- les questions financières, avec le lancinant débat sur les ratios de collecte comparés à l’action sur le terrain.
Une longue marche qui a connu ses moments d’euphorie, de doute, d’affaires qui mettaient tout le monde dans le même sac.
Mais cette longue marche a été, au bilan, une grande réussite.
Les chiffres de la générosité sont là pour le confirmer. Une croissance robuste depuis 30 ans. Un foisonnement de causes et des combats menés par la société civile en soutien des OSBL, qui ont su les mobiliser.
Un fantastique succès marketing qui a permis de faire émerger de grandes organisations, puissantes, et internationalement reconnues, grâce en partie aux professionnels du fundraising.
Enfin, et c’est l’essentiel, le service apporté à des millions de bénéficiaires dans tous les secteurs de l’intérêt général, qui a permis à la France de montrer la dynamique de son secteur philanthropique.
Comment tout cela a-t-il commencé ?
C’est au milieu des années 70 que débute, en France, l’histoire de la générosité moderne. Moderne parce qu’elle repose désormais sur une méthodologie qui repose elle-même sur un modèle économique systémique.
"Le succès fracassant de l’opération marque les débuts de la collecte de fonds moderne grâce au marketing direct, et plus précisément au mailing".
Avant cette période, des organisations faisaient, bien sûr, de la collecte de fonds, par des quêtes, des ventes de vignettes par les scolaires, des lettres ronéotypées, des événements, des tombolas, des émissions de télévision comme celle organisée en 1970, ancêtre du téléthon, au profit de la Fondation pour la Recherche Médicale, réalisée par Pierre Sabbagh, animée par Georges de Caunes et Pierre Bellemare.
Il s'agissait de collecter des fonds contre le cancer. La soirée s'étalait de 20 heures 30 à minuit. Pour inciter à donner, les organisateurs voulant comptabiliser les promesses pendant l'émission, le défi fût de mettre en scène ces promesses en direct, alors que seuls 30 % des Français étaient équipés d'un téléphone.
Les présentateurs proposèrent le stratagème suivant : ils demandèrent à tous les foyers disposés à faire un don de 10 francs - qu'ils pourraient déposer dans des urnes installées dans toutes les mairies de France, restées ouvertes la nuit entière - d'éteindre leur téléviseur à 21 heures précises, pendant une minute.
Lorsque la trotteuse de l'horloge de l'Office de Radiodiffusion-Télévision Française, plein écran, marqua 21 heures, des millions de foyers éteignirent leur poste.
Une minute plus tard, les deux présentateurs expliquèrent que, grâce à EDF qui avait mesuré la chute de tension sur ses compteurs, nous allions connaître par une simple règle de trois, le nombre de foyers qui avaient promis de verser 10 francs.
Une petite demi-heure plus tard, après chansons et interviews, un responsable d'EDF accompagné d'un huissier, annonça que le montant des promesses s'élevait à 10 millions de francs. Georges de Caunes et Pierre Bellemarre encouragèrent ensuite les donateurs à aller déposer dix francs dans l'urne.
Au final, ce furent 18 millions de francs qui furent collectés, soit l’équivalent de 20 millions d’euros d’aujourd’hui. Pas mal, pour un coup d'essai et un tel bricolage pour enregistrer les promesses !
Mais le vrai lancement de ce qui fondera le Fundraising français survient deux ans plus tard. Le comité français de l’Unicef traduit et mécanise, grâce à de gros ordinateurs déjà largement répandus dans le milieu de la vente par correspondance, une lettre réalisée par son homologue américain et l’adresse à quelques milliers de Français. Le succès fracassant de l’opération (autour de 15 % de rendement, en prospection) marque les débuts de la collecte de fonds moderne grâce au marketing direct, et plus précisément au mailing.
Quelques organisations prendront rapidement ce tournant : MSF, l’ARC, la Fondation de France. Je découvre, à cette époque, cette grammaire que j’ai eu la chance d’appliquer à la Fondation de France dès 1976, puis à Médecins du Monde après 84.
Nous venions d’importer en France le fundraising, à la mode anglo-américaine, donnant un nouvel éclairage au marketing social et à la communication non profit.
Pourquoi considérer le mailing, comme l’outil originel du fundraising en France ?
De multiples raisons.
Le marketing direct sert parfaitement le modèle de l'économie du don. Ce modèle repose sur l’enchaînement que tout fundraiser a en tête : prospection, fidélisation, succession, que nous avons appelé la trilogie du don.
Nous ne nous attarderons pas ici sur les vertus de ce modèle économique qui est la base de toute stratégie fundraising, mais il convient de s’interroger sur les raisons du succès du marketing direct dans la mise en œuvre de cette trilogie. Ce succès réside dans l’optimisation des cinq propositions suivantes :
- Le ciblage de la population prospectée.
- La possibilité d'argumenter les idées, les propositions, les projets et combats que mènent les OSBL.
- La possibilité d'apprécier, dans des délais courts, la rentabilité de l'investissement. On connaît parfaitement le coût de l’envoi de 10 000 lettres et grâce au coupon-réponse en retour, on peut aisément en mesurer l’économie.
- La fidélisation des correspondants. Comme vu plus haut, la trilogie des dons tourne autour de l’axe de la fidélisation des donateurs.
- Enfin, la possibilité de tout tester, car la singularité du marketing direct, comme démarche spécifique du marketing, réside dans cette possibilité d’évaluation permanente.
Disposant désormais d’un modèle économique qui peut être servi par une démarche marketing, reposant sur les seuls moyens de l’émetteur du message, sans nécessité de faire intervenir un tiers : (presse, radio, télévision, etc..,) le fundraiser français peut déployer ses stratégies de collecte de fonds et faire appel à tous les autres instruments du marketing direct.
"Les succès du télémarketing ont permis de l’étendre à la prospection de donateurs introduisant dans le même temps la possibilité de garantir le risque".
L’autre point d’inflexion qui va amplifier le poids du marketing direct dans la collecte de fonds privés accouchera, dans la douleur, un peu plus tard.
Inspiré des sociétés chargées de collecter la taxe d’apprentissage via des opérations de télémarketing, une première intrusion a été tentée au début des années 80 dans le champ du caritatif, mais rapidement écartée, tant les Français étaient réticents aux sollicitations par téléphone. Cette répulsion était aussi présente dans les organisations au point de faire échouer ces premières expériences.
Il faudra attendre une décennie, après que les foyers français aient été complètement équipés du téléphone filaire, qu’ils aient pris l’habitude d’être dérangés par les vépécistes et autres cuisinistes, pour accepter d’écouter avec tolérance les appels à dons des associations et fondations. Le téléphone va doper les programmes de consolidation, fidélisation et réactivation des bases de données de donateurs. Média encore plus direct que le mailing, agile, adaptable, l’essentiel se joue entre la sélection du fichier, le storytelling et l’argumentaire, le talent du téléacteur et la conversation qui en découle.
Les succès du télémarketing ont permis de l’étendre à la prospection de donateurs introduisant dans le même temps la possibilité de garantir le risque.
Si la lassitude des donateurs s’est exprimée face au bourrage des boîtes aux lettres, les réactions face au télémarketing ont été encore plus vives et de nombreuses régulations sont intervenues, écartant cependant toute restriction à l’appel à la générosité publique.
Les questions de régulation et d’éthique ont accompagné cette longue marche, qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. L’essor du fundraising s’est également fait dans un contexte de circulation financière toujours plus important, impliquant organisations, prestataires, et pouvoirs publics grâce à l’arme de la fiscalité des dons et, bien sûr, les donateurs.
Cette relation reposant sur la confiance, exige une probité et une éthique irréprochables, qui n’étaient pas toujours au rendez-vous. Plusieurs scandales ont affecté le secteur.
Mais anticipant ces risques dès la création de l’AFF, ses membres ont décidé de signer un code d’éthique inspiré de celui de la NSFRE américaine, complété par la charte de déontologie des organisations faisant appel à la générosité du public. Encadrée par ces dispositifs la profession a pu répondre à l’exigence de transparence que réclamaient tous les acteurs du système et poursuivre sa marche.
Au tout début de ce siècle, une autre innovation va véritablement révolutionner le fundraising français. Issue encore une fois d’expériences étrangères, une démarche de collecte de fonds face à face, ou « street fundraising » va s’implanter en France.
La disruption de cette approche est de s’adresser aux donateurs encore plus directement, dans la rue pour solliciter non pas des dons ponctuels mais des prélèvements automatiques (PA).
Ce mode de paiement était considéré en France comme réservé aux associations qui proposaient du parrainage d’enfants. Niche qui a fait les beaux jours et l’émergence d’ONGs spécialisées dans ce type d’aide aux enfants d’Afrique ou d’Asie.
Une première remise en cause de cette convention va être entreprise par Médecins Sans Frontière, en 1991, lors de l’émission La Marche du Siècle qui lui était consacrée. Jean-Marie Cavada, appela les téléspectateurs à faire un don de 1 franc par jour, sous forme de PA, sans parrainage à la clef. Le succès fût au rendez-vous. 30 000 donateurs optèrent pour cette formule.
Un signe fort venait d’être donné par Médecins Sans Frontière : le PA n’était plus réservé au parrainage. Mais comment le traduire en stratégie marketing réplicable, sans passer par de grands médias, télévision, radio, presse ?
La réponse est venue d’un transfuge de Greenpeace Autriche, déjà expérimenté en « street fundraising'' qui va proposer au secteur des sollicitations de PA dans la rue.
Cette disruption va changer la donne. Les OSBL vont investir des moyens considérables pour conquérir ces précieux PA. La stabilité des prélèvements (entre 6 et 7 ans), qui représentent aujourd’hui 40 % des dons déclarés, garantit une trésorerie régulière.
Mais parallèlement à ce basculement du don ponctuel vers le PA, le secteur va assister, en ce début de XXIème siècle, à l’apparition de deux phénomènes assez disparates : la montée de la grande philanthropie des millionnaires, voire milliardaires et celle des foules généreuses.
L’avènement des despotes philanthropiques éclairés.
L’annonce du don de 31 milliards de dollars par Warren Buffet à la Fondation de Bill et Melinda Gates, en 2006, signe le retour triomphal de la grande philanthropie.
S’en est suivi le lancement de l’initiative Giving Pledge qui a enrôlé plus de 400 milliardaires du monde entier (aucun Français) qui promettent de donner 50 % de leur fortune à des causes d’intérêt général.
En moins de 20 ans, en raison de l’accélération de l’enrichissement lié à la mondialisation, à la financiarisation de l’économie et du creusement des inégalités, le poids de la grande philanthropie n’a cessé de croître dans la répartition des ressources privées des organisations sans but lucratif. Ce phénomène est mondial, et pas simplement limité aux pays anglo-saxons. Nous connaissons cette même évolution en France et la constatons même dans la philanthropie chinoise.
Ce phénomène pose un certain nombre de problématiques, sur lesquelles nous reviendrons.
" Cette stratégie peut fonctionner sur le court terme, mais pourrait ne pas être viable sur le long terme".
Au cours des 30 dernières années, la richesse privée se concentre entre les mains d’un nombre de plus en plus réduit de personnes. Les 400 personnes les plus fortunées au monde possèdent autant que la moitié de la population de la planète.
Aux USA, par exemple, une part significative de cette richesse ruisselle vers le secteur caritatif, comme en atteste l’explosion du nombre de « méga-dons » (dons privés de plus de 100 millions de dollars), de fondations privées (+28% entre 2004 et 2014) et de fonds orientés par le donateur (+19% entre 2006 et 2012).
Cette même évolution est constatée en Europe et notamment en France où l’illustration la plus marquée de cette tendance de fond nous a été donnée lorsque 6 familles ont versé 600 millions sur 850 millions d’euros pour reconstruire Notre Dame.
Les contributions philanthropiques émanant de donateurs en haut de l’échelle des revenus et de richesse ont augmenté de manière significative au cours des dix dernières années.
Mais face au renouveau de la grande philanthropie, qui n’est pas sans rappeler celle du début de XXème siècle, émerge par une autre expression philanthropique tout aussi dynamique celle de la « foule généreuse », de la multitude de petits donateurs, voire de micro-donateurs, portée par l’usage expansif des nouvelles technologies.
En parallèle, on observe un lent mais inexorable déclin des dons provenant des donateurs aux revenus moyens et modestes, un indicateur de l’inégalité et de l’insécurité économique qui touchent ces donateurs.
Comme le mettent en évidence diverses études, les contribuables aux plus petits revenus décrochent. La progression des dons déclarés ne se poursuit que grâce aux plus hauts revenus.
Pour mémoire, 16 % des foyers déclarant avoir fait un don représentent plus de 40 % du montant donné. Dans le cadre de la dernière année de versement de l’ISF, 14 000 foyers ont versé 250 millions d’euros, soit 0,04 % des foyers représentant 7 % des dons effectués en 2018.
Alors que les dons très importants ont explosé au cours des 10 dernières années, les dons provenant des donateurs aux revenus moyens ou modestes ont dégringolé. Et le nombre de donateurs effectuant des dons « classiques », qui composaient la grande majorité des fichiers de la plupart des organisations caritatives, a diminué de manière continue ces dernières années. En France, l’engagement des donateurs n’ayant jamais déclaré de dons ne représente que 7% du nombre de donateurs. La progression est due aux plus fidèles donateurs.
Les organisations concernées n’ont pas vu leurs revenus baisser au même rythme que leurs « pertes » de donateurs, parce qu’elles ont réussi à obtenir des dons plus importants des donateurs restants. Cette stratégie peut fonctionner sur le court terme, mais pourrait ne pas être viable sur le long terme.
Le fait de se concentrer sur la recherche et la fidélisation de très grands donateurs, au détriment d’une base plus large de donateurs moins aisés, engendrera pour les organisations une compétition croissante entre elles pour obtenir le soutien d’un nombre très réduit de donateurs.
Elle montre aussi la préférence grandissante pour les grandes organisations ou pour celles dirigées par des très grands donateurs
« Les dons de grande ampleur favorisent les organisations et fondations les plus grandes, qui ont la capacité de gérer de tels dons. Ce constat est déjà fait aujourd’hui : entre 2014 et 2015, tandis que les structures collectant 500 k$ ou plus ont augmenté leurs revenus de 10,7 %, celles qui collectent moins de 100 k$ ont diminué leurs revenus de 11,8% en moyenne ».
Ceux qu’on a appelé la génération « utilitariste », née avant la Seconde Guerre mondiale, qui étaient habitués aux appels de dons par courrier, télémarketing, événements de collecte et médias traditionnels, disparaissent peu à peu. Les boomers désormais habitués au street fundraising et au don on line prennent le relai. Mais les générations X et Y représentent la prochaine relève dynamique et puissante.
"Nous n’en sommes qu’au balbutiement des possibilités offertes par les NTIC".
Ce relais de croissance de la générosité s’exprime grâce à la puissance des réseaux sociaux et de tous les dispositifs innovants qu’ils permettent de véhiculer.
« Les réseaux sociaux ne seront plus synonyme de « jeunes ». Les stratégies social-media devront être multi générationnelles.
Nous sommes et serons, tous connectés et mobiles, ce qui va faciliter les occasions de micro-dons spontanés, dans tous les moments de vie économique et sociale.
Nous n’en sommes qu’au balbutiement des possibilités offertes par les NTIC : cagnottes de collecte de pair à pair, pay per view, mais également tous les systèmes de micro-dons et d’arrondis. En 2019, Giving Tuesday a permis de collecter 2 milliards $ collectés en une journée. En 4 ans, Facebook Fundraisers a permis de collecter plus de 2 milliards €, dont 1 milliard sur les pages anniversaires.
Le marché mondial du crowdfunding représentait en 2020 une industrie de près de 1000 milliards €. 40% des moins de 35 ans ont déjà participé à une collecte de type cagnotte. Toutes les générations sont sur les réseaux sociaux. 90,5% des « Y », 77,5% des « X » 48,2% des Boomers.
Les dons de crypto-monnaie augmentent parallèlement à l’augmentation de la valeur des crypto-monnaies sur le marché »
Il se dessine effectivement un monde philanthropique à deux pôles.
Un pôle de grande philanthropie, alimenté par les grandes fortunes de milliardaires internationaux, en capacité de « changer le monde » par leur intervention sur des grands sujets d’intérêt général, à l’aune des tycoons américains désireux d’explorer la Lune ou Mars.
Rappelons simplement que la fondation Gates, avec un budget supérieur à celui de l’OMS, a permis d’éradiquer la polio en Afrique.
Cette grande philanthropie soutient prioritairement de grands projets portés par de grandes organisations.
L’inquiétude légitime est que des despotes philanthropiques éclairés puissent dicter l’intérêt général selon leur propre agenda.
Se pose dès lors un enjeu démocratique qui se résume ainsi : ainsi dicte et dictera l’Intérêt général. Enjeu auquel les Fundraisers ont une part si importante.
Un pôle d’une multitude de donateurs, unifiés par les outils digitaux au gré des sujets qui les mobilisent. Ces foules généreuses, grâce aux réseaux sociaux, notamment, sont en capacités elles aussi de « changer » le monde.
Par leur don, bien sûr, mais surtout et aussi par leur manière d’influencer les décideurs politiques et économiques. Prenons l’exemple de Plant for the planet https://www.trilliontreecampaign.org/ pour illustrer cette capacité de la multitude.
La foule généreuse préfère financer des projets que des institutions et soutient toutes sortes de bénéficiaires qui portent ces projets : grandes, moyennes et petites structures, voire même, des organisations en gestation.
Et l'établissement caritatif dans tout cela ? Les Unicef, MSF, Care, WWF etc. seront tantôt partenaires (ou prestataires) des grands philanthropes, tantôt bénéficiaires ou initiateurs de grande campagne de mobilisation au profit de leur programme.
A mon sens, elles garderont la maîtrise de leur destin, si elles parviennent à naviguer entre ces deux pôles.
Ces évolutions ont fortement transformé le paysage philanthropique mais aussi le métier des fundraisers et de toute la profession.
Aux bénévoles, puis aux professionnels formés sur le tas, ont succédé des primo-diplômés d’université au début puis de grandes écoles. Si le secteur attirait dans les années 80 ceux et celles qui ne trouvaient pas de débouché sur le marché, il est désormais valorisant de prendre des fonctions de directions dans les OSBL, au point que l’intégration des compétences de fundraising, au sein de ces organisations, surpasse désormais de loin l’aspiration à travailler chez les sous-traitance.
Pour conclure
Ce qui a révolutionné, sans aucun doute, la recherche de fonds privés par les fondations et les associations, c'est l'introduction en France des techniques de marketing direct.
Le marketing direct a véritablement démocratisé la collecte de ces organisations.
Des organisations dont la notoriété, la taille, les statuts ne permettaient pas a priori un démarchage à grande échelle (réservé à celles qui sont les seules capables de mettre en branle la radio, la télévision, la presse ou autorisées à faire la quête sur la voie publique), ont pu elles aussi s'adresser au public.
La parfaite adéquation des techniques du marketing direct à la recherche de fonds a permis de faire passer celle-ci du stade artisanal au stade industriel. Elle a surtout favorisé sa modélisation par des professionnels, en agence, dans les ONG et depuis peu en milieu universitaire et dans les grandes écoles, faisant du marketing direct une technique à part entière.
On peut dès lors résumer la situation ainsi. Il existe une offre : les organisations d’intérêt général. Il existe une demande : des donateurs disposés à acquérir par leur don la satisfaction morale de participer à une action philanthropique. Il existe un produit : les actions sociales, humanitaires, de recherche etc.
…Ces différentes composantes constituent un marché spécifique que l'on peut appeler le « marché du don » que le marketing sert prodigieusement.
Et demain ?
Projetons-nous dans 30 ans. Que sera le Fundraising en France ? Certains d’entre nous ne seront plus là, mais quel héritage aurons-nous laissé aux prochaines générations de fundraisers ?
Un regard dans le rétroviseur pour mesurer ce qui a été accompli simplement, au plan des chiffres de la générosité de cette période passée de 30 ans
Aux USA le montant donné par les Américains s’élevait en 1991 à 124, 8 milliards de $, vs 264 milliards en 2015, soit une multiplication par 2,12 en un quart de siècle (pour mémoire en 2019 ce chiffre a grimpé à 449 milliards de $, soit fois 1,7 en 4 ans et donc une multiplication par 3,0 en 30 ans ?).
Si on se prête à la même comparaison pour la France, nous étions autour de 1,5 milliard d’€ en 91 (extrapolation à partir de l’ étude Archambault-Boumendil) contre 7,5 milliards en 2015 soit une multiplication par 5. Intéressant, mais nous partions de très bas.
Quel sera l’évolution de cette collecte en 2050 ? Quelles seront les grandes évolutions ? Qui seront les fundraisers de demain ?
Une excellente étude prospective a été réalisée par l’agence Adfinitas pour l’horizon 2025, à laquelle nous vous renvoyons. En partant de cette base, on peut aisément imaginer un fund raising dominé par la foule généreuse dopée à l’IA, avec des taux de donateurs par rapport à la population, non plus de 40 % mais de 70 ou 80 %.
Ces foules généreuses seront à la fois donatrices, mais aussi collectrices, mobilisatrices voire même opératrices, désireuses de mettre en œuvre par elles-mêmes les solutions aux maux auxquelles s’attaquent d'habitude les OSBL.
Il est fort probable, en dehors même d’un effondrement général (climat, pollutions, pandémies à répétition, conflits planétaires) que la réduction des inégalités par la redistribution par l’impôt, à l’image de la politique qui a suivi le new deal, jusqu’en 1984 (FD Roosevelt a imposé une fiscalité de 85 % pour tout revenu supérieur à 1 million de $, par an) est inéluctable.
Cette rigueur fiscale a été érodée au point de recréer ce fossé abyssal entre ultra riches et ultra pauvres, laminant au passage le niveau de vie des classes moyennes.
Nous nous orientons vraisemblablement vers un retour à une taxation des plus riches et, par voie de conséquence, à un reflux de la très grande philanthropie.
Que dire des montants qui seront mobilisés, un multiple de 5 porterait la générosité des français à près de 40 millions d’€. Un beau score pour un pays qui sera, comme le reste des pays européens, un pays vieillissant. Sus aux legs !