Intervention lors de l‘évènement : “Journée Exploratoire : Prospective et Ethique en Entreprise”, le 6 octobre 2023. Organisée par la Société Française de prospective
Par Antoine VACCARO Président de Force for Good
“J’exerce le métier de fundraiser depuis plus de quatre décennies.
Mon parcours s’est étendu sur sept ans à la Fondation de France, trois ans auprès de Médecins du Monde, suivis de trois décennies enrichissantes à la tête d’agences conseil en fundraising.
Je souhaite vous faire découvrir un domaine spécifique : celui des organisations faisant appel à la générosité du public. Ce secteur, regroupant environ 1 500 associations et fondations, a vu naître des succès marketing notables, tels que Médecins sans Frontières ou l’UNICEF.
Dans les années 70-80, ces organisations ont vécu une véritable révolution, plongeant ainsi dans l’univers compétitif de la générosité. Contrairement aux entreprises commerciales, elles font face à un dilemme unique : le donateur, soutien financier de la cause, n’est pas le bénéficiaire direct de son don. Il lui est donc difficile d’évaluer la concrétisation de sa contribution. Cette vérification incombe à des tiers de confiance : organismes de labellisation, médias, pouvoirs publics, etc.
La confiance est donc un enjeu crucial. Si les donateurs doutent de l’intégrité des organisations redistribuant leurs dons, le système tout entier pourrait s’effondrer. À titre d’exemple, si un problème survient avec Danone, le consommateur se tourne vers Yoplait.
Mais la générosité, considérée comme la plus noble des vertus par les philosophes, ne tolère aucune faille en termes de probité. Une confiance trahie par des pratiques douteuses sape les fondements de l’ensemble du système. L’importance du rôle des bénéficiaires tiers et du contre-pouvoir scrutant les modalités de cet échange est donc fondamentale. Les médias et l’administration jouent souvent ce rôle de contre-pouvoir.
Dans les années 80, le secteur a rapidement compris la nécessité d’adapter son modèle économique face à l’effervescence de l’époque. Cependant, ce renouveau a engendré des distorsions dans les pratiques, la communication avec les donateurs et la gestion des fonds. Les premiers scandales éclatent alors, révélant des abus dans la répartition des fonds collectés.
Pour réguler ces dérives, nous avons institué l’Association Française des Fundraisers, dotée d’un code d’éthique proscrivant certaines pratiques, notamment le paiement à la commission. La question de l’efficacité et de l’éthique des messages reste toutefois complexe. La collecte de fonds, à la croisée des causes à défendre et des techniques rhétoriques, nécessite des codes de conduite rigoureux, tant dans la communication que dans la gestion financière.
À ses débuts, l’Association comptait une trentaine de pionniers. Aujourd’hui, elle rassemble plus de 1 200 membres professionnels. Parallèlement, les OSBL ont créé le Comité de la charte de déontologie, sous la présidence de François Bloch-Lainé.
En 1991, la Cour des Comptes a renforcé le contrôle sur ces pratiques, appuyée par l’administration. Cette «ceinture sanitaire» a été efficace, préservant le système même en période de crise. Cependant, la vigilance doit rester constante. Comment maintenir la confiance dans un secteur mature et concurrentiel ? Comment assurer la transparence et l’éthique, et déterminer qui en est le garant ?
Conclusions des ateliers
Nous avons mené des débats tant philosophiques que politiques, concluant que la fin ne justifie pas tous les moyens.
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La question se pose : devons-nous accepter toute contribution au nom d’une cause ? Faut-il recevoir des dons de toutes les entités, même lorsque l’intégrité de ces dernières est sujette à caution ? L’acte de donner. s’il est entaché par des intentions douteuses telles que la corruption ou le conflit d’intérêts, soulève un dilemme moral complexe pour les organisations dédiées au bien commun.
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Il est impératif de forger des synergies transparentes entre le secteur public et la sphère philanthropique. En dépit de la concurrence inévitable, nous devons garder à l’esprit notre objectif commun : servir la cause. Chaque entité, avec ses programmes et ses bénéficiaires, doit reconnaître l’importance de travailler ensemble pour un bien supérieur.
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Évaluer l’éthique et la légitimité des actions dans notre domaine est une tâche ardue. Qui doit être le juge de cette éthique ? L’État, les administrations, les pairs, ou devrions-nous nous orienter vers un modèle participatif, similaire à TripAdvisor, où chacun aurait la liberté d’exprimer son opinion sur les associations et leurs actions, basée sur leur expérience en tant que donateur ou bénévole ?
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L’engagement dans l’action philanthropique nécessite une grammaire d’éthique et la construction d’un langage commun. La jeunesse d’aujourd’hui, en quête d’évasion ou de résistance face à un monde à dominante capitaliste effréné, doit être guidée par des principes éthiques clairs et universels.
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Dans notre secteur, l’exigence d’intégrité est absolue; nous devons être irréprochables. Il est crucial de démontrer à l’opinion publique la fiabilité et la transparence du secteur non lucratif, particulièrement dans des domaines tels que, par exemple l’enseignement supérieur, où le privé à but lucratif gagne du terrain. Ce secteur pose des questions éthiques fondamentales pour l’avenir de la société française, soulignant la nécessité de valoriser ce qui transcende la mesure, la quantification, et la monétisation, en faveur d’un modèle d’intérêt général non lucratif. Les questions éthiques soulevées par ce secteur sont cruciales pour l’avenir de la société française. Il s’agit de valoriser ce qui ne peut être mesuré ni monétisé, dans un modèle non lucratif d’intérêt général.”