Cet entretien avec Corinne Josephides a été réalisé par Grégoire Ducrot, de l’agence Tam-Tam en mars 2021 dans le cadre du podcast “Les chemins de la réussite”.
Aujourd’hui, nous rencontrons une femme de conviction et de passion, Corinne Josephides, directrice du pôle grand public de l’agence Force For Good.
Qu’est-ce que c’est qu’une fundraiser ?
Ce n’est ni plus ni moins qu’une collectrice de fonds. Mon travail au quotidien consiste à susciter les générosités auprès du grand public en faveur des associations caritatives. Donc, on va travailler sur la stratégie et sur la mise en œuvre des moyens pour que les citoyens s’engagent auprès des associations et fondations.
C’est plus que votre travail, c’est votre passion, vous vivez le fundraising ?
Tout à fait, je suis tombée dedans quand j’étais petite. Je suis née au Liban dans les années 70 et comme beaucoup de Libanais, j’ai été scout, enfin guide pour les filles. Et j’ai été très vite engagée dans la philosophie et l’état d’esprit du scoutisme qui passe par la notion de bonnes actions évidemment, mais pas que, par la notion de solidarité et d’entraide surtout. En fait, vous apprenez très vite à participer à des opérations de collecte de fonds. Ça passe par des événements où l’on va solliciter les parents, les proches, les voisins et je pense que ma vocation a commencé à ce moment-là.
C’était vers 12, 13, 14 ans, c’est ça ?
Oui, le collège, à peu près entre l’école primaire et le collège.
Alors, entre des actions de collecte de fonds pour les guides et une voie professionnelle, est-ce qu’il y a une vraie différence ou est-ce que de la même manière vous voyiez toujours dans ce type de métier quand vous aviez cet âge ?
Non, je n’imaginais pas que j’allais avoir ce type de métier à cet âge-là, bien évidemment. Je ne savais même pas que le métier de collecteur de fonds existait. En revanche, j’avais très envie de m’impliquer aux côtés des associations, ça a toujours fait partie de moi. Je me suis toujours engagée auprès d’associations mais à nouveau, le métier n’existait pas.
Et quand on va voir le conseil d’orientation, en règle générale, il nous demande ce qu’on veut faire. Là, je pense qu’il devait être un peu perdu !
Il était complètement perdu, en effet. Alors, j’avais changé de pays à ce moment-là, je n’étais plus au Liban mais en Égypte. Et j’ai eu l’occasion de travailler sur des levées de fonds à ma petite mesure à l’époque pour des associations locales. En fait, la conseillère d’orientation vous oriente tout de suite vers des métiers d’information, de communication, de marketing, parce que c’est ce qui lui permettait de se raccrocher aux branches aussi.
Et pourtant, c’était une époque où les mobilisations existaient, on avait eu les concerts pour l’Arménie, les concerts en Angleterre…
Oui, il y avait l’Ethiopie avec “We Are the World” avec la partie américaine, la chanson sur l’Éthiopie, en France Il y avait le Paris-Dakar avec la distribution des pluies, notamment en Afrique. Il y a avait Greenpeace qui commençait à militer, Amnesty qui faisait des concerts magnifiques à Wembley avec Tracy Chapman, Sting et Bruce Springsteen. Ce sont des éléments qui ont marqué un peu notre génération, je pense. Ça existait, mais pour autant le métier de collecteur de fonds, lui, était véritablement dans l’ombre et n’avait pas de nom.
Sur ce chemin, cette quête de sens professionnel, est-ce qu’il y a des gens qui vous ont accompagné, guidé, des professeurs par exemple ?
Oui, alors à nouveau, ce n’est pas à l’école, au collège, au lycée qu’on nous a appris la collecte de fonds. En revanche, j’ai eu la chance de côtoyer des professeurs qui nous ont encouragés à faire un métier avec du sens. Je pense que celui qui m’a le plus marquée, c’était un professeur en première. C’était mon professeur de physique au lycée français du Caire. Un prof fabuleux en ce sens où il arrivait à mobiliser les personnes, même les plus démotivées, celles qui n’étaient pas forcément les plus à l’aise dans sa matière. Je pense que c’est le professeur qui m’a le plus marquée dans ma scolarité et qui m’a le plus encouragée à faire des choses qui me tenaient à cœur.
C’est très étonnant parce que c’est un professeur dans une matière qui n’a pas été retenue pour votre parcours professionnel en fait.
Absolument. J’ai eu la chance d’être entourée de professeurs suffisamment malins pour me dire : “Allez, tu fais une section scientifique, ça va t’ouvrir des portes, tu prendras ta décision après.” Donc, j’ai suivi un parcours assez classique, j’ai fait une terminale scientifique et puis je suis rentrée au Celsa, l’école de communication, ne sachant toujours pas que le métier de collecteur de fonds existait.
Pour ceux qui ont déjà commencé leur carrière, ils savent aussi que les premiers pas dans une carrière sont très importants. Là, ça s’est passé comment ? Pareil, il y a eu des rencontres, des choses intéressantes qui vous ont donné envie de poursuivre ?
Alors, juste avant la carrière, il y a eu mon passage à l’école de communication. Nous avons eu l’intervention assez phénoménale d’un monsieur qui s’appelle Antoine Vaccaro, l’actuel président de Force For Good. Et il a eu une intervention magistrale en nous décodant un mailing qu’il avait construit pour Handicap International. C’était le mailing “Béquille” avec une petite béquille fabriquée en bois. Et c’était vraiment le mailing emblématique de cette époque puisque la collecte de fonds commençait tout juste à se structurer en France. Antoine est le pionnier de la collecte en France. Il a systématisé, étudié, analysé et il reste aujourd’hui un des grands pontes de ce domaine. En fait, c’est là où je me suis dit : “Mais ça existe et c’est peut-être ça que j’ai envie de faire.” Par ailleurs, j’ai terminé mes études au moment où le digital était en plein boom. Donc j’ai voulu intégrer ce secteur des nouvelles technologies et trouver par la suite une passerelle avec le secteur associatif. La reconnexion s’est faite quelques années plus tard au sein d’une agence de collecte de fonds américaine.
Aujourd’hui, vous êtes fundraiser, votre voie vous l’avez trouvé, vous êtes heureuse, épanouie. Néanmoins, est-ce qu’il y a encore des buts, des gens que vous continuez à admirer ? Antoine Vaccaro, je pense, en fait partie.
Tout à fait, j’ai la chance de le côtoyer tous les jours. Après, au-delà des fundraisers, ce sont des personnalités inspirantes qui vous marquent et qui vous poussent à aller de l’avant dans votre métier ou dans votre vie de tous les jours. Nelson Mandela c’est aussi une grande inspiration pour moi. Sœur Emmanuelle également, nous avons aussi la chance de travailler pour son association au sein de Force For Good. Je pense que ça donne du sens à la collecte de fonds. Cela irrigue, ça donne encore plus de sens. Collecter des fonds en soi, pour quoi faire ? Ce qui compte, c’est le but. Nous, on est un outil qui permet la réalisation de choses sur le terrain. Je pense que c’est ça qui est le plus motivant.
Dans les actions de collecte de fonds des 30-40 dernières années, est-ce qu’il y a des choses qui vous ont marqué, que vous aimeriez, si ce n’est reproduire, en tout cas viser ?
Alors, j’aurais bien aimé connaître la collecte de fonds des années 80, où vous écriviez un simple courrier et vous receviez énormément énormément de dons. C’est toujours le cas, les Français sont toujours aussi généreux, mais on n’a pas ce côté exploratoire où la première fois que vous écrivez, vous ne vous y attendiez pas et ça tombe. Là, c’est devenu un peu régulier. Donc peut-être que ça m’aurait intéressée de connaître cette période des “French doctors” qui ont de fait accompagné la collecte de fonds en France.
Votre carrière est encore longue, vous en avez encore beaucoup devant vous. Quelle tournure voulez-vous qu’elle prenne dans l’avenir ?
C’est une très bonne question. Toujours en collecte de fonds probablement. Mais je pense que la collecte de fonds va fondamentalement changer dans les temps qui viennent. Elle reste essentiellement portée par des outils assez classiques. Elle va passer un cap, de nouveaux médias vont apparaître, les réseaux sociaux vont prendre une dimension plus importante dans ces collectes de fonds, dans cette conversation que l’on va avoir avec les donateurs. Je ne sais pas quelle tournure ma carrière prendra, mais je sais que je ne pourrai pas continuer à faire ce métier comme je le fais actuellement. Je continuerai à le faire avec des convictions, mais il sera forcément obligé de bouger et d’évoluer dans un monde qui lui-même évolue à vitesse grand V.