Un an, « déjà », mais que cette année a été longue et pesante. Pour certains d’entre nous elle a été dramatique. Deuils, maladie, impact de crise économique et sociale aux conséquences encore difficilement estimables.
Et dans ce marasme, la générosité des français continue à croître, comme lors de chaque catastrophe humanitaire, climatique ou sanitaire.
J’avançais en avril 2020, l’hypothèse d’une bulle de générosité, comme à l’occasion de chaque catastrophe, avec une singularité, à la différence des tsunamis, des tremblements de terre ou autres conséquences de conflits, cette crise touche aussi l’ensemble de la population, dont celle habituellement donatrice. Cette dernière allait-elle se comporter comme à l’accoutumée ou bien, se replier, considérant que c’est à la puissance publique de prendre en charge un tel défi.
Et bien, force est de constater qu’une bulle de générosité s’est constituée et que les Français se sont mobilisés avec vigueur. Les premiers indicateurs montrent une croissance de la générosité du grand public de 20 %[1] (vs -10 % de PIB) et nous attendons les chiffres du mécénat d’entreprises qui ne devraient pas être en reste.
Reste à affiner ces chiffres et regarder de plus près où est allée cette générosité ?
Assez logiquement, nous aurions pu penser que les dons seraient concentrés, « égoïstement », vers les structures du secteur sanitaire et de recherche médicale, au cœur de la lutte contre la pandémie, à même de nous venir en aide.
Mais il n’en est rien. Nous avons pu repérer trois cercles de bénéficiaires plus ou moins dotés.
Premier cercle, comme vu ci-dessus, toutes les causes liées à la lutte contre le Covid.
Un deuxième cercle, concerne les organisations qui viennent en aide aux populations précaires et fragiles, telles que : Secours Populaire, Secours Catholique, Emmaüs, Croix Rouge Française, Armée du Salut ; auxquelles s’ajoutent les ONGS qui interviennent à l’étranger, comme MSF, MDM, ACF, HI etc.
C’est une des grandes caractéristiques de la générosité française et européenne (en tous cas continentale) à la différence de la puissante philanthropie américaine, qui donne majoritairement à des causes qui bénéficient avant tout à ses propres donateurs.
Enfin un troisième cercle, qui concerne les organisations culturelles, de protection du patrimoine ou d’activités sportives diverses qui ont subi de plein fouet cette épidémie, a été faiblement soutenu parce qu’éloigné des préoccupations des français, pendant cette période.
Comme lors de chaque crise, il y a des gagnants et des perdants et les organisations qui souffrent le plus sont celles qui sont peu connues ou qui n’ont pas de grandes capacités de sollicitation des donateurs.
Cette bulle est aussi la résultante de l’incroyable inventivité et vivacité des organisations de toutes tailles pour solliciter la générosité des Français. Aux méthodes de collecte de fonds traditionnelles se sont ajoutées des formes innovantes, comme : le gaming, les ventes aux enchères on line, les loteries solidaires, qui ont fleuries, avec des succès impressionnants.[2]
L’explosion de ces initiatives sont favorisées par la digitalisation de la collecte de fonds et des moyens de paiement.
Si fin 2019, nous nous inquiétions du faible rebond des dons digitaux depuis deux ou trois ans, avec un taux de plus de 230 % de croissance, le transfert vers ce vecteur de générosité est enfin advenu et nous ne reviendrons pas en arrière.
La société civile, fait preuve d’une grande résilience. Je convoquais Sénèque dans un récent éditorial de la news letter du CerPhi[3]. J’y rappelais que le philosophe avait développé, en sept livres, une analyse stoïcienne des notions d’éthique, de gratitude, d’ingratitude et de bienfait, et offrait de nombreux conseils pour accorder, recevoir, et retourner convenablement les bienfaits.
Mais son propos est d’affirmer la nécessité de la gratitude et de la bienveillance, qui constituent pour lui, les liens les plus puissants de la société humaine.
En cette période de pandémie et d’incroyable rupture que constitue une telle crise, le besoin de gratitude et de bienveillance devient un impératif catégorique.
Au sortir de cette crise, que nous espérons proche, comment va évoluer la générosité des entreprises et ménages français ?
Cette année, qui a vu la moitié de la population de la planète vivre au rythme des séquences de stop and go, va impacter nos sociétés pour longtemps, au plan économique, social, politique, voire géopolitique.
Les conséquences ne sont pas encore toutes connues et très claires, mais nous ne pourrons pas longtemps faire fi de cette réalité et repartir comme si de rien n’était.
Quelques secteurs économiques semblent survoler ce désastre. Les bourses mondiales ont retrouvé leur niveau de février 2020 et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Cette déconnexion entre finance et économie réelle, dénoncée, par de nombreuses voix, ajoute au caractère obscène de la situation. De nombreuses branches de l’économie sont à genou et les bourses volent à nouveau de records en records, sur la montagne de dettes que les pays accumulent pour éviter un nouveau krach mondial et qu’il faudra bon an mal an rembourser.
Le secteur philanthropique est pour l’heure lui aussi épargné par cette crise, il en ressort toujours plus fort, comme lors de toute grande crise ou catastrophe humanitaire, tant les besoins sociaux explosent et l’expression de la générosité toujours plus nécessaire.
Ses principaux contributeurs sont, pour le grand public, des seniors très majoritairement retraités, qui ayant reçu leurs pensions comme chaque mois, convaincus que leur épargne est encore protégée poursuivent leur soutien indéfectible aux associations et fondations.
Coté grande philanthropie, les donateurs font partie du 1% qui détient 50 % du patrimoine de toute l’humanité, poursuivent leur engagement philanthropique, car ils ont compris que leur absence au chevet des plus démunis risquerait de leur revenir en boomerang.
L’avenir de la philanthropie peut sembler radieux, mais des points d’alerte doivent être signalés.
- Coté entreprises, malgré la tendance de fond du mécénat, de la RSE et du « good », le secteur économique confronté à de multiples défis, risque de mettre en sourdine ses engagements sociétaux.
- Coté grande philanthropie, la taxation des plus hauts revenus et patrimoines et quasi inéluctable, ce qui risque de pousser à la défection certains hauts contribuables, considérant que leur impôt est déjà une forte contribution à l’intérêt général.
- Enfin le grand public résistera-t-il longtemps, si son épargne et ses revenus s’effondrent à mesure que la crise s’aggrave ?
Ne jouons pas les Cassandre et parions sur une issue positive pour l’ensemble du secteur.
Antoine Vaccaro, Président du CerPhi et de Force For Good